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LE MODELE STRUCTURO-MODULAIRE EN TEXTOLOGIE
6 août 2011

STRUCTURE ATOMIQUE ET SCHEMAS DE CONSTRUCTION D'UNE FONCTION POETIQUE DE TYPE SONNET

 

 

Martin Momha,

Docteur en sciences du langage et de la communication

Diplômé des universités de Genève et Berne, Suisse

  

« Structure compositionnelle » et « structure configurationnelle » sont deux notions distinctes qu’utilise Jean-Michel Adam (2005 : 175) dans son programme d’analyse textuelle des discours dont la matrice opérationnelle est « la séquence ». Dans le schéma prototypique qu’il propose pour illustrer les « liages textuels », la compositionnelle concerne le plan et les structures séquentielles qui régissent les typologies textuelles et la configurationnelle traite des macrostructures sémantiques et des macro-actes de discours.

 

En textologie poétique, la configuration désigne l’aspect physique d’une organisation textuelle. Elle est formellement induite par des indices d’ordre esthétique, stylistique et rhétorique. La configuration permet un meilleur formatage ou une meilleure catégorisation des énoncés en genres ou en typologies textuelles. La composition, quant à elle, se rapporte aux agrégats qui forment l’ossature d’un texte poétique - objet prismatique et interactionnel, lieu d’insertion et d’intersection de plusieurs intégrités dynamiques. La composition se rapporte ainsi aux différentes palettes de la mosaïque textuelle. On pourrait donc en déduire que « configuration » et « composition » concernent les procédés de textualisation qui régissent la construction de la fonction poétique.

 

 

1. Structures de la fonction poétique

Etymologiquement, « structure » vient du mot latin struere  qui veut dire construire. Le mot structure signifie donc construction. Mais à l’instar de nombreux items que l’on retrouve dans la langue française, ce terme désigne tantôt un processus, tantôt le résultat de ce processus. Dans cette perspective, « structure » peut parfois avoir un sens dynamique, tantôt un sens statique. Dans son sens dynamique, la structure sous-entend un processus d’engen-drement, synonyme de mouvement. Dans son sens statique, la structure  dénote une organisation matérielle propre à l’émergence d’un sens.

Mais en textologie comme dans  les sciences exactes, expérimentales, sociales, etc., l’on parle de « structure » partout où il y a décomposition et recomposition, partout où il y a description des constituants d’un ensemble fonctionnant comme système. Dans cette perspective, Michaël Riffaterre définit la structure comme « un système formé de plusieurs éléments dont aucun ne peut subir des changements sans entraîner des changements dans tous les autres »[1]. Cette approche définitionnelle est sensiblement la même que celle que propose Noël Mouloud. Ce dernier considère la structure  comme « un système dont les composantes sont en interaction mutuelle »[2].

 

Sur le plan mécanique et ontologique, la structure est une intégrité dy-namique qui s’affirme par sa double fonction : corrélation expérimentale et construction formelle. Elle met en œuvre la capacité inventive de la raison et elle conduit à une mise en œuvre plus poussée des procédés rationnels. La structure concerne surtout les propriétés empiriques. Pour cela, elle est considérée comme un  procédé d’objectivisation inhérent à toute démarche de formalisation.

 

Caractéristiques de la structure poétique

 

On dit d’une structure qu’elle est poétique, lorsqu’elle se caractérise, selon Roman Jakobson, par « la projection du principe d’équivalence de l’axe de la sélection sur l’axe de la combinaison »[3]. Ceci revient à dire en filigrane que, quel que soit le côté par lequel on aborde un poème, il est certain qu’il dépend d’une double organisation paradigmatique et syntagmatique. L’auteur des Essais de linguistique générale  continue en explicitant dans sa thèse que la structure poétique est une construction systématique qui repose sur le « parallélisme continuel »[4]. Le poème, renchérit Michaël Riffaterre, « est une séquence verbale à l’intérieur de laquelle les mêmes relations entre les constituants se répètent à différents niveaux, où la même histoire est redite de plusieurs façons au même moment et à plusieurs reprises de la même façon »[5].

 

On dira donc d’une structure qu’elle est poétique en Textologie, lorsque son organisation est régie par l’isomorphisme, l’itérativité et la récursivité des éléments qui le composent. Cette connotation architecturale est un lien métaphorique que Dominique Maingueneau souligne en ces termes.

 

 « Dans la langue classique, la notion de « structure » entretient des liens privilégiés avec l’univers de l’architecture, mais cette dérive métaphorique suppose un primat indu de spatialité » [6].

 

 

Les composantes constitutionnelles de la fonction poétique

 

La fonction poétique en Textologie est comparable à une mosaïque architecture dont les différentes palettes sont des macrostructures interdépendantes. On en dénombre cinq :

 

La composante esthétique et rhétorique (CER)

La composante grammaticale et syntaxique (CGS)

La composante phonique et prosodique (CPP)

La composante lexicale et sémantique (CLS).

La composante topique et thématique (CTT).

 

Les cinq agrégats de la fonction poétique forment une totalité organique. Cette constitution permet de comparer l’architecture de la fonction poétique à celle des isotopes[7] ou des isomères[8] en physique des corpuscules.

 

Un tel dispositif insinue qu’en Textologie, la fonction poétique est un atome textuel dont le noyau renvoie à la composante topique et thématique (CTT) et les électrons sont des composantes macrostructurelles de base (CER, CGS, CPP, CLS). Le schéma suivant illustre parfaitement bien la structure atomique de la fonction poétique :

 

 

                                CER

 

 

 

CGS                                                              CPP

 

 

 

          CLS

 

 

 

CTT

 

 

 

 

 

 

 

 

Cette disposition implique deux évidences : l’unité ou l’unification du thème et la centralisation de la composante thématique qui devient, pour autant le dire, l’axe central et l’âme de la fonction poétique.

 

Ces constituants, selon la « fonction sémiotique » élaborée par Hjelmslev, regroupent systématiquement les composantes de la texture poétique en deux formants[9] corrélatifs : « le plan de l’expression » et « le plan du contenu »,  ou en deux catégories structurales : la structure littéraire et la structure lin-guistique :

 

« L’analyse de la structure du texte et de ses éléments révèle les relations étroites entre la structure linguistique et la structure compositionnelle thématique de l’ouvrage littéraire. La découverte de cette relation est un résultat des plus importants de l’analyse structurale et fonctionnelle du message littéraire »[10].

 

 

 

 

1.1. Description des composantes  constitutionnelles de la fonction poétique

 

Il n’y a pas d’ordre de valeur ou de grandeur parmi les composantes de base du texte poétique. La description des constituants de l’atome textuel n’obéit donc à aucune préséance.

 

a/ La composante esthétique et rhétorique  désigne la structure canonique ou l’architecture de la fonction poétique. Il s’agit d’une composante qui dévoile l’intégrité physique ou formelle du texte. L’analyse de l’organisation esthétique et rhétorique de la fonction poétique consiste en l’étude des procédés de composition, des techniques d’écriture et des schémas de construction qui sous-tendent la dynamique du texte. La rhétorique, la stylistique et l’esthétique sont les principales disciplines mises en contribution pour une meilleure description de la structure formelle et organisationnelle du texte.

 

b/ La composante grammaticale et syntaxiqueconcerne la disposition, la conca-ténation des éléments de la langue dans le texte, ainsi que l’organisation morphosyntaxique de la fonction poétique. Le parallélisme tautologique du discours poétique polarise la description de l’organisation grammaticale et syntaxique autour de l’analyse des grammèmes (catégories grammaticales) et des isotaxies (structures syntaxiques homologues). Une telle opération permet de cerner comment se forment dans un corpus textuel clos des syntagmes (nominaux ou verbaux), des propositions (indépendantes ou principales / subordonnées ou relatives), les modalités (déclarative, interrogative, exclamative, etc.) et comment leur combinaison contribue à la formation de l’énoncé poétique.

 

c/ La composante phonique et prosodique concerne la distribution des sonorités, la musicalité des mots, les effets mélodiques disséminés dans la gaine textuelle. De façon plus globale, cette structure traite des unités physiologiques et acoustiques de la langue, ainsi que leur organisation dans la formation de l’énoncé. Le texte se transforme dès lors en une partition musicale  dont l’analyse cherche à dévoiler la trame à travers une double opération : la première consiste en l’étude distinctive des composantes de la langue par permutation (axe syntagmatique) ou par commutation (axe paradigmatique) et la deuxième en l’étude linguistique de la valeur expressive des phonèmes : durée, intensité, variation mélodique.

 

d/ La composante lexicale et sémantique  vise à la description de l’organisation sémantique du texte à travers l’analyse des champs lexico-sémantiques qui l’émaillent. La description des unités de signification du texte consiste en l’étude des parentés lexicales, des réseaux et des corrélations sémiques qui sous-tendent la fonction  poétique.

 

e/ La composante topique et thématique  est la composante centrale de la fonction poétique. Elle  est la résultante de l’interaction des quatre premières composantes.

 

1.3. Fonctionnement des composantes de la fonction poétique

 

 

Si l’on s’en tient aux différents agrégats qui le composent, la fonction poétique, comme nous l’avons démontré plus haut, pourrait se définir comme un atome dont le thème est la composante nucléaire. Une transposition mathématique de cette structure fonctionnelle permet d’assimiler l’organisation textuelle d’une fonction poétique à une application dont l’ensemble de départ se compose des macro-structures de base et l’ensemble d’arrivée est l’unité nucléaire du thème. On obtient ainsi une représentation que le schéma suivant visualise :

 

 

CER

CGS                                     CTT

CPP

CLS

 

          Ensemble de départ (E.D)        Ensemble d’arrivée (E.A)

         Composantes de base                     Composante nucléaire

 

En somme, la fonction poétique est une application linguistico-textuelle de cinq macrostructures dont les quatre premières forment l’ensemble de départ (anté-cédents) et la dernière composante représente l’ensemble d’arrivée (images). Si cette structuration est commune à tous les architextes poétiques fonctionnant comme des systèmes clos, chaque sous-genre se caractérise par des propriétés spécifiques, tant sur le plan formel que compositionnel. Le sonnet canonique français qui nous séduit par son organisation systémique est une fonction poétique qui remplit les conditions de l’analyse structuro-modulaire telles qu’énoncées dans les prolégomènes. Aucune autre forme ne réunit en quatorze vers fixité et mobilité, statisme et dynamisme, raison et sentiment, féminin et masculin.

 

 

2. Structures et procédés de composition du sonnet

 

Le sonnet conventionnel est un poème comportant quatorze vers, répartis normalement en deux quatrains suivis d'un sizain (souvent considéré comme la suite de deux tercets). Les deux quatrains présentent le plus souvent, dans la « norme » française, la même disposition des rimes, soit croisées (ABAB), soit embrassées (ABBA) (cependant, deux quatrains sur deux schémas de rimes différents sont possibles). En outre, aux époques anciennes (16ème   et plus tard19ème siècle), une alternance de rimes masculines et féminines devait être respectée. Le sizain doit respecter à son tour certaines normes sur la succession de ses rimes : CCDEDE, CCEDDE (qu'on retrouve beaucoup quand le quatrain est de forme ABBA).

 

Cette forme poétique dans sa variante originelle est apparue en Italie au 13ème  siècle et a acquis ses lettres de noblesse dès le 14ème  siècle, en particulier grâce à Pétrarque dont les sonnets dédiés à Laure demeurent parmi des modèles du genre Canzoniere. Elle a ensuite été très utilisée en Europe, d'abord dans les pays latins (Italie, péninsule ibérique), puis en France lors de la Renaissance, au 16ème siècle, tout particulièrement chez les poètes de La Pléiade (Pierre de Ronsard et Joachim du Bellay), mais aussi chez Louise Labé (Clément Marot en avait composé quelques-uns). La norme pétrarquiste a subi alors de sensibles aménagements, surtout lorsque le sonnet fut importé en Angleterre par Shakespeare.

 

Le sonnet français connut une grande vogue dans la première moitié du 17ème  siècle, la rigueur de sa forme lui conférant un caractère noble, avant d'être délaissé au 18ème siècle. Au 19ème  siècle, il fut exploité à nou-veau par les poètes, d'abord par les romantiques anglais (Words-worth) puis allemands et slaves (Pouchkine), avant d'être réintroduit en France par les Parnassiens (Théophile Gautier), Charles Baudelaire et les symbolistes (Paul Verlaine). Au fil des siècles, détourner la forme contraignante du sonnet est devenu un jeu : nombre des poètes modernes s'y sont adonnés. Les vers du sonnet sont en principe en alexandrin, soit 12 pieds.

 

Malgré l’usure du temps, le sonnet est loin d’être une forme poétique obsolète. Il survit au flux des générations et il survivra à l’ère de la prose. C’est la thèse que soutiennent les poètes Chaunes et Syvoisal[11] dans un sonnet où hommage est rendu à cette forme noble :

 

Le sonnet survivra au siècle de la prose,
Il se plaît dans un cadre et sur l'écran repose,
Il se met en abîme ou transgresse d'un bond
La règle qui dormait d'un sommeil moribond.

Il est le Chevalier puis il devient la Rose ;
Ordre et mélancolie, pinacle et puits sans fond ;
Il grimpe au ciel par un chemin qui se compose
D'enjambements subtils qui défient la raison.

Il est tout à la fois héroïque et coquin,
Sublime et vil, digne et frivole aimant la farce ;
Il sert la tourterelle aussi bien que la garce,

Son théâtre est la vie. Du manteau d'Arlequin
Surgissent des éclairs, des stars, des mannequins ;
Il rassemble en un point nos volontés éparses.

La tradition du sonnet reste donc vivace et contemporaine. Dans un site[12] qui lui est consacré sur la toile, Andrier Laugier rassemble des poèmes et des textes dans lesquels hommage est rendu à ce « grand poème en petit ».

 

Par sa rigidité formelle, sa concision et sa concentration, le sonnet est un système textuel complet dans la forme et dans le fond. Il fonctionne comme un complexe de 168 unités syllabiques disposées en deux quatrains formant un système de huitain et deux tercets formant un système de sixain.

 

Comme toute forme littéraire, le sonnet trouve ses fondements dans des traités et des manifestes qui explicitent son mécanisme. Cependant,  dans nos analyses, il ne sera pas question d’une évaluation historico-littéraire de cette organisation littéraire, mais plutôt d’une étude systémique de ses manifestations textuelles, car « toute forme littéraire ou tout mouvement scientifique doit être jugé avant tout sur la base de l’œuvre produite et non d’après la rhétorique de ses manifestes »[13].

 

Selon le protocole d’analyse en textologie, tout texte, objet d’étude, doit être formalisé ou paramétré. Nous savons déjà que le sonnet est une fonction poétique qui comporte numériquement quatorze vers. Cette assertion pourrait avoir valeur d’axiome mathématique, dans la mesure où il s’agit  d’un paramètre constant resté inviolé par des générations d’auteurs. Malgré sa structure rigide, le sonnet a connu de nombreuses variations qui ont surtout affecté sa construction strophique, notamment dans l’agencement et la disposition des rimes. Etudier systématiquement un sonnet, c’est d’abord comprendre comment cette typologie textuelle fonctionne ; comprendre comment elle fonctionne, c’est d’une part tenter de cerner son évolution dans le temps et dans l’espace et d’autre part élucider les contraintes et les schémas de construction qui le sous-tendent.

 

2.1. Evolution de la structure schématique du sonnet

 

Du sonnet pétrarquiste jusqu’à nos jours, en passant par le sonnet marotique, le sonnet français, le sonnet shakespearien, et d’autres sonnets variés des XIX° et XX° siècles, on peut distinguer schématiquement  cinq grandes charpentes :

 

 

 

 

 

 

 

a/ Sonnet du modèle 1

 

Dans le type (1), les quatorze vers du sonnet sont disposés en deux strophes : un huitain et un sixain. Le seul désavantage dans ce schéma est que la disposition des rimes n’est pas explicite.

 

b/  Sonnet du modèle 2

 

Dans le type (2), la configuration définitive du sonnet est mise en exergue. Le huitain et le sixain s’atomisent en deux quatrains et deux tercets. La disposition des rimes selon le modèle pétrarquiste devient aussi plus systématique et se présente comme suit : ABBA – ABBA – CDC – DCD.

 

c/  Sonnet du modèle 3

 

 

  

Le type (3) reprend la même configuration que le modèle précédent, à la seule différence que, dans les tercets, les rimes présentent une nouvelle formule combinatoire : CCD – EED.

 

d/ Sonnet du modèle 4

 

Le type (4) qui désigne le modèle français du sonnet reprend la structure marotique et modifie légèrement la disposition des rimes dans le dernier tercet.

 

 

e/ Sonnet du modèle 5

 

 

Enfin dans le type (5) développé par Shakespeare, le sonnet tend à se construire sur quatre strophes dont les trois premières sont des quatrains ayant 6 paires de rimes croisées et le dernier est un distique à rimes plates.

 

Ces cinq schémas présentent en diachronie les mutations formelles du sonnet. Aux XIXe et XXe siècles, Baudelaire, Verlaine et Rimbaud, pour ne citer que ces poètes, lui ont insufflé une nouvelle dynamique, sans pour autant désagréger sa formule prototypique. Mais la forme n’est qu’une des contraintes du sonnet ; il existe aussi des normes qui régissent sa composition.

 

2.2. Les contraintes extrinsèques et intrinsèques du sonnet

 

Le sonnet est une fonction poétique qui est sous-tendue par une norme externe et interne. La première concerne la structure rigide généralement en quatorze alexandrins et la seconde fait référence aux  procédés de mise en texte du poème et aux schémas de construction sous-jacents. Dans la composition du sonnet, les contraintes extrinsèques et intrinsèques sont des indices qui régissent la convention esthétique et rhétorique de cette forme poétique.

 

a/ Contraintes extrinsèques

 

Le sonnet régulier français est un poème à forme semi-fixe de quatorze vers composé de trois strophes. Les deux premières sont des quatrains (S1 et S2) construits l’un et l’autre sur le même couple de rimes embrassées. La troisième est un sixain (S3), articulé typographiquement en deux tercets (S3a et S3b). Le sizain est construit sur une rime plate précédant un couple de rimes croisées différentes de la rime plate. De plus, le genre des rimes doit alterner, sauf entre le premier et le second quatrain. Le sonnet régulier se ramène à la disposition suivante : abba abba ccd eed.

 

b/ Contraintes intrinsèques

 

Autour des quatorze alexandrins qui le structurent, le sonnet se présente comme une sorte de syllogisme où les deux quatrains tiennent lieu de prémisses et le sixain est la péroraison. Un tel dispositif transforme cette organisation textuelle en une fresque aristotélicienne comportant un début (une exposition), un développement (le nœud) et une fin (dénouement). Et comme le confirmait   Baudelaire[14] reprenant des propos d’Edgard Poe, « tout dans un poème comme dans un roman, dans un sonnet comme dans une nouvelle, doit concourir au dénouement ».

 

Mais c’est chez André Gendre et Jean Vigne que nous avons pu trouver en détail des paramètres qui permettent de bien cerner le mécanisme interne de construction du sonnet défini par H. Cazalis comme « un grand poème en petit »[15], un chef-d’œuvre artistique qui, au-delà de sa concision et de ses contraintes rigides, charme par son équilibre et son ambiguïté[16]. Ces mécanismes concernent d’une part les schémas de construction et d’autre part, les niveaux de description du sonnet.

 

2.3. Les schémas de construction du sonnet

 

Dans une étude consacrée à Du Bellay et ses sonnets romains, Jean Vigne (1994) propose un essai de typologisation du sonnet. Les critères qu’il retient pour définir les différents mouvements sont des relations logiques (et accessoirement syntaxiques, rhétoriques et lexicales) qui sous-tendent la composition des strophes et, partant de là, la construction du poème. On distingue donc :

 

·         Le mouvement antithétique qui met en exergue une opposition marquée dans la structuration du poème,

·         Le mouvement cumulatif qui comporte des énoncés parallèles ou juxtaposés, renforcés par une structure anaphorique,

·         Le mouvement interrogatif qui s’articule autour de questions po-sées par le poète à l’allocutaire,

·         Le mouvement dialogique qui présente une interaction entre le poète et son allocutaire dans une série de questions/ réponses,

·         Le mouvement déductif qui établit une relation de cause à effet entre les deux parties du texte,

·         Le mouvement d’explication  qui consiste à expliquer à la fin du texte l’affirmation initiale paradoxale ou ambiguë,

·         Le système hypothétique qui dévoile les prémisses et énonce les conclusions,

·         Le mouvement comparatif, implicite ou explicite, qui s’effectue à l’aide des corrélatifs tels que « ainsi » ou « comme ».

·         Etc.

 

2.4. Les niveaux de description du sonnet

 

Au-delà des relations logiques et rhétoriques qui régissent la typologisa-tion et la catégorisation des sonnets,  au-delà des contraintes internes et externe qui régissent sa composition, l’analyse du sonnet repose aussi sur des niveaux de description et des articulations intrinsèques à sa struc-turation.

 

Pour André Gendre (1996 : 10-52), le sonnet se présente comme une forme fixe ou plutôt semi-fixe dont l’analyse est modelée par trois va-riables selon trois niveaux  de description : strophique, syntaxique et sé-mantique.

 

a/ Le niveau strophiqueest essentiellement articulé autour des rimes et du rythme. Il pose le problème de la division et de la délimitation du sonnet par trois systèmes de rimes : abba, abba, ccdede.

 

b/ Le niveau syntaxiqueest un module qui traite la disposition des phrases dans les strophes. Le mariage de la strophe et de la syntaxe permet de distinguer cinq modalités de sonnets :

 

·         Type 1 : une seule phrase enjambe les strophes jusqu’à la fin.

·         Type 2 : le sonnet se développe en deux phrases dont l’une couvre le huitain et l’autre le tercet.

·         Type 3 : une seule phrase pour chacun des quatrains et une troisième pour le sizain.

·         Type 4 : quatre phrases occupent chacune un quatrain ou un tercet.

·         Type 5 : toute disposition différente des quatre premiers types.

 

c/ Le niveau sémantique, enfin, dépend des deux premiers, mais possède également son autonomie. Ce module s’intéresse aux tournures du lan-gage, à la mise en relief des sons et de leurs significations à l’intérieur des vers et à travers le jeu des rimes.

 

2.5.  Les mécanismes argumentatifs dans les types de sonnets

 

Le sonnet canonique fonctionne sur la base d’une dissymétrie entre les deux quatrains (le buste) et les deux tercets (les membres). Les quatrains fixent un problème et le développent. Les tercets apportent la nuance pour appuyer le propos ou le réfuter. Au delà de cette dissymétrie, l’analyse structurale du sonnet  permet de distinguer trois modalités organisationnelles : le type progressif, le type dialectique et le type  cyclique.

 

Le premier type correspond à un développement progressif du sens et à la présence à la fin du poème d’une image ou d’une sentence qui fixe le propos. Le deuxième type est une sorte de ronde où, après une série de légères digressions, l’émotion ou la pensée du début se confirment à la fin. Le troi-sième type correspond au déploiement d’un mouvement et d’un contre-mouvement.

 

On pourrait ajouter à ces typologies une autre classification qui s’appuie sur des articulations énonciatives de la pensée dans le texte.  Ainsi, dans leur étude, W. Mönch et Ch. Sibona[17] s’intéressent à trois catégories de sonnets : le sonnet monologique, le sonnet dialogique et le sonnet trilogique. La première catégorie, favorable à l’expression des sentiments, n’a aucune limite dans sa construction. La deuxième catégorie se fonde sur une dualité née du déséquilibre entre huitain et sizain. La troisième catégorie est bâtie sur un schéma ternaire de type « affirmation – opposition – conclusion » ou encore « exposition – complication – dénouement ». La progression y est mesurée, alimentée par les différents champs de forces qui le traversent.

 

En somme, le sonnet est une fonction poétique qui séduit par ses contraintes extrinsèques et intrinsèques. Il s’agit en fait « d’un grand poème en petit » qui charme  par sa mécanique de précision. La trame du sonnet canonique consiste à représenter verbalement un univers discursif avec 168 unités syllabiques disposées en deux blocs strophiques : un huitain de deux quatrains isostro-phiques, suivi d’un sizain de deux tercets isostrophiques formant un système de rimes complet. Puisqu’il s’agit d’un poème à forme fixe ou semi-fixe, les ressources du sonnet peuvent être évaluées quantitativement et qualitative-ment et les théories qui s’y rattachent peuvent avoir une valeur d’axiome. Une telle prédisposition ouvre ainsi la voie d’accès à une analyse systématique.

 


Bibliographie

 

Adam J.-M., La linguistique textuelle. Introduction à l’analyse textuelle des discours, Paris, Armand Colin, 2005.

Baudelaire Ch., Œuvres complètes, tome 2, Paris, Gallimard, 1976.

Chaunes S., La furie française. Sonnets croisés, Paris, l’Age d’Homme, 2004.

Gendre A., Evolution du sonnet français, Paris, PUF, 1996.

Greimas A. J. & Courtés J., Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Paris, Hachette, 1979.

http:///echos-poetiques.net     -  « les sonnets des sonnets »

Jakobson R., Essais de linguistique générale, Paris, Editions de Minuit, 1963.

Maingueneau D., Genèse du discours, Bruxelles, Mardaga, 1984.

Mouloud N., Langages et structures, Essais de logique et de séméologie, Paris, Payot, 1969.

Riffaterre M., Essais de stylistique structurale, Paris, Flammarion, 1971.

Sumpf J.,  Introduction à la stylistique du français, Paris, Larousse, 1971.

Vignes J., « Deux études sur la structure des Regrets », in Du Bellay et ses sonnets romains (éd. Yvonne Bellenger), Paris, Champion, 1994.

Todorov T. et al., Théorie de la littérature, Paris, Le Seuil, 1965.

 



[1]. M. Riffaterre, 1971 : 306.

[2]. N. Mouloud, 1969 : 14.

[3]. R. Jakobson, 1963 : 253.

[4]. Ibid : 283.

[5]. M. Rifaterre, 1971 : 308-309.

[6]. D. Maingueneau, 1984 : 9.

[7] Eléments dont les noyaux ont le même nombre de protons mais un nombre différent de neutrons.

[8] Se dit des corps composés des mêmes éléments et en même nombre, mais dont les propriétés physiques et chimiques diffèrent essentiellement.

[9]. Par « formant », on entend en linguistique « une partie de la chaîne du plan de l’expression correspondant à une unité du plan du contenu et qui, lors de la sémiosis, lui permet de se constituer en signe ». (Greimas & Courtés, 1979 : 89)

[10]. L. Dolezel, cité par J. Sumpf, 1971 :162.

[11]  La furie française. Sonnets croisés

Auteur :

Chaunes, Sylvoisal

Paru le :

10/05/2004

Editeur :

L'Age d'Homme

ISBN :

2-8251-1808-7 / Ean 13 : 9782825118085

 

[12]http:///echos-poetiques.net     -  « les sonnets des sonnets »

[13]. B. Tomachevski, cité par Roman Jakobson, « Présentation des textes des formalistes russes » (in Todorov, 1965 : 9).

[14] C. Baudelaire, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1976 : 343.

[15] H. Cazalis à Baudelaire, « Lettres de juin 1862 », in Stéphane Mallarmé, 1959 : 32.

[16] Aucune autre forme ne réunit en quatorze vers fixité et mobilité, statisme et dynamisme, raison et sentiment, féminin et masculin.

 

[17] Cités par A. Gendre, 1996 : 22-23.

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